NATO and Canada

Le rôle du Canada dans le renforcement du flanc sud de l’OTAN par l’innovation et le développement capacitaire


Introduction

Depuis plusieurs années, l’OTAN répète son engagement en faveur d’une « sécurité à 360 degrés », mais son flanc sud demeure un angle mort stratégique. Alors que l’attention des Alliés se concentre sur la Russie et l’Indo-Pacifique, les défis persistants de l’Afrique du Nord et du Sahel, terrorisme, flux illicites, instabilité côtière et pressions migratoires, continuent d’éroder la stabilité régionale. En 2024, plus de 46 800 arrivées ont été recensées aux Canaries, un record depuis 2006, et plus de 2 450 décès ont été signalés en Méditerranée centrale , ce qui illustre la gravité de cette instabilité. Face à cette dispersion, souvent dominée par l’Union européenne, le Canada a l’occasion d’incarner une approche complémentaire : une contribution légère, technologique et francophone qui renforce les partenaires sans reproduire les logiques d’ingérence militaire. Le renforcement du flanc sud de l’OTAN par le Canada gagnerait à privilégier les capacités technologiques à double usage, la veille spatiale et la formation ciblée plutôt qu’un engagement militaire direct. Cet article soutient que le Canada devrait opérationnaliser DIANA (Defence Innovation Accelerator for the North Atlantic) et le programme de renforcement des capacités de défense (CRD) pour lancer un projet pilote axé sur la lutte anti-drones (counter-UAS) et la surveillance maritime au profit de la Tunisie et de la Mauritanie, deux partenaires du Dialogue méditerranéen, un forum de partenariat qui vise à contribuer à la sécurité et à la stabilité dans l’ensemble du bassin méditerranéen,  confrontés à une instabilité croissante.

Concrètement, Ottawa pourrait défendre un modèle « left-of-boom », c’est-à-dire une stratégie d’anticipation des crises avant qu’elles ne surviennent, financée conjointement et à faible empreinte. Ce pilote combinerait : (1) des sprints technologiques DIANA (depuis le nœud d’Halifax) pour adapter des solutions de lutte anti-UAS et d’analyse d’anomalies fondées sur l’IA; (2) des tâches de renseignement spatial et maritime (ISR), incluant des partenariats commerciaux et alliés ; (3) des modules CRD francophones pour la surveillance côtière et la résilience face aux menaces hybrides.

Ce positionnement jouerait sur les avantages comparatifs du Canada : son expertise francophone, sa leadership technologique reconnue et sa réputation de puissance moyenne, sans passif colonial dans ces regions, le positionnant donc comme un acteur impartial. Dans un contexte où le retrait progressif des acteurs occidentaux ouvre la voie à la Russie et à son « Africa Corps », avatar post-Wagner, le besoin de solutions peu coûteuses, responsables et axées sur l’autonomie locale devient urgent. Enfin, la présence du bureau nord-américain de DIANA à Halifax offre au Canada une plateforme unique pour tester et prototyper des innovations de défense à double usage, au croisement du civil et du militaire. Ce levier, encore sous-exploité, pourrait faire d’Ottawa le fer de lance d’un flanc sud plus résilient et mieux intégré, sans qu’il soit nécessaire d’envoyer un seul bataillon.

Cette étude examinera d’abord la nature des défis propres au flanc sud, avant d’évaluer les atouts comparatifs du Canada, de proposer une architecture concrète pour un projet pilote, d’analyser la faisabilité politique à Ottawa et, enfin, d’identifier des indicateurs tangibles de succès pour mesurer l’impact de cette approche.

Le défi du flanc sud : un angle mort dans la sécurité « à 360 degrés » de l’OTAN

L’OTAN affirme depuis 2014 qu’elle doit garantir une « sécurité à 360 degrés », c’est-à-dire être capable de répondre aux menaces venant de toutes les directions: Est, Sud, Nord et cyberespace. Depuis les soulèvements du printemps arabe en 2011, qui ont déstabilisé une partie du Maghreb et du Sahel, la région fait face à une insécurité chronique : terrorisme transnational, trafics illicites et migrations irrégulières. Ces dynamiques ne menacent pas seulement les États riverains ; elles affectent également la cohésion et la crédibilité de l’Alliance, dont le mandat de « défense collective » repose sur l’Article 5 du Traité de l’Atlantique Nord .

Les États du Maghreb et du Sahel, en particulier la Tunisie et la Mauritanie, partenaires du Dialogue méditerranéen, se trouvent aujourd’hui dans une zone grise en matière de sécurité. La Tunisie subit une pression économique et migratoire croissante, tandis que la Mauritanie se positionne en dernier rempart face à l’expansion de groupes djihadistes depuis le Mali et le Niger. Ces vulnérabilités, combinées à la compétition d’influence entre acteurs extérieurs, Russie, Chine, Turquie, Émirats, créent un espace de plus en plus contesté. Or, malgré son discours sur l’équilibre entre le flanc est et le flanc sud, l’OTAN continue d’allouer la majorité de ses ressources au théâtre européen. Selon le South Report de l’OTAN en 2024, plus de 70 % des exercices militaires et 80 % des budgets d’opérations de l’Alliance restent concentrés sur le front oriental, contre moins de 10 % consacrés à la Méditerranée et au Sahel. Les budgets, les exercices et l’attention médiatique demeurent dominés par l’agression russe en Ukraine ; en comparaison, la dimension méditerranéenne reçoit peu de ressources, ce que plusieurs analystes qualifient de « blind spot méditerranéen ». Cette asymétrie d’attention compromet la promesse d’une alliance 360°.

Le résultat est un déficit en matière de maritime domain awareness et de résilience partenariale. Les États du Sud disposent rarement de capacités ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) modernes, ce qui les empêche de surveiller efficacement leurs côtes et leurs frontières. À titre d’exemple, moins de 25 % des États partenaires du Dialogue méditerranéen disposent de radars côtiers ou de plateformes ISR interopérables avec l’OTAN, accentuant le déficit de “maritime domain awareness”. Une absence de coordination entre les programmes européens et les initiatives de l’OTAN aggrave encore cette fragmentation : les missions européennes se concentrent sur la gestion migratoire, tandis que l’Alliance peine à mettre en place un mécanisme intégré de partage d’informations.

En parallèle, la montée en puissance du conglomérat russe « Africa Corps », héritier direct du groupe Wagner, redéfinit les équilibres sécuritaires du Sahel. En échange de soutien militaire et de propagande, Moscou obtient un accès privilégié aux ressources et aux leviers politiques locaux. Ces opérations accentuent la dépendance des régimes fragiles et érodent les standards de redevabilité promus par les démocraties occidentales. Face à ce paysage, le flanc sud ne représente pas seulement une périphérie de l’OTAN, mais constitue aussi un test de crédibilité. L’incapacité de l’Alliance à répondre efficacement aux menaces issues du Sud remet en question sa promesse de sécurité indivisible. Pour le Canada, qui revendique un rôle de puissance moyenne fiable et multilatérale, cette lacune représente une opportunité : contribuer à stabiliser la région sans se surétendre militairement, par la formation, l’innovation technologique et le partenariat.

Les atouts uniques du Canada

Le Canada possède un ensemble d’atouts uniques pour contribuer efficacement au flanc sud de l’OTAN, sans recourir à un engagement militaire lourd. Ces avantages reposent sur trois piliers : l’innovation technologique, la compétence francophone et humanitaire, et le positionnement diplomatique de puissance moyenne. Ensemble, ils placent Ottawa dans une position stratégique pour proposer une approche « à faible empreinte », fondée sur la technologie et le renforcement des capacités locales plutôt que sur la projection de forces.

Le principal levier du Canada réside dans sa participation à l’initiative DIANA, dont le nœud nord-américain est basé à Halifax. Lancée en 2023, cette initiative dispose d’un fonds d’investissement de 1 milliard de dollars américains sur dix ans, destiné à soutenir les technologies à double usage au sein des pays alliés, ce qui offre au Canada un cadre stable pour des projets de co-développement technologique. Cette structure connecte les chercheurs, les startups et les forces armées pour concevoir des solutions technologiques à double usage. Halifax est particulièrement bien placée pour piloter ce type de projet : elle combine une proximité géographique avec les centres de recherche de la côte Est, un écosystème maritime actif et un ancrage stratégique atlantique, renforçant le lien transfrontalier avec les États-Unis et l’Europe. Dans le cadre du flanc sud, DIANA offre un instrument idéal pour développer des solutions de surveillance maritime, de lutte anti-drones et d’analyse de signaux à la périphérie. Ces innovations, testées à petite échelle et conçues pour être exportables, permettraient de renforcer les capacités locales de la Tunisie et de la Mauritanie sans exiger de lourdes infrastructures ni d’interventions prolongées. En misant sur un modèle « tech-sprint », rapide, flexible et mesurable, le Canada peut proposer à l’OTAN un cadre de coopération moderne et rentable.

En outre, la diplomatie canadienne bénéficie également d’un avantage linguistique et culturel rarement mis à profit : sa capacité à intervenir en français dans un environnement nord-africain majoritairement francophone. Cette compétence, fusionnée à un long héritage de missions de maintien de paix et de formation multilatérale, permet à Ottawa d’opérer dans un registre de partenariat plutôt que de tutelle. Contrairement à certains alliés européens, le Canada n’a pas de passif colonial dans la région, ce qui renforce sa crédibilité auprès de gouvernements souvent méfiants à l’égard des anciennes puissances impériales. Cette position d’acteur neutre et formateur s’aligne parfaitement sur les priorités actuelles du programme de renforcement des capacités de défense (CRD) de l’OTAN, qui privilégie la formation des forces locales à la gestion de la sécurité et au développement de doctrines nationales autonomes. En 2023, près d’un tiers des projets Defence and Related Security Capacity Building (DCB) actifs concernaient des pays francophones, dont la Mauritanie, le Niger et la Tunisie, où le Canada bénéficie donc d’une expertise linguistique unique. En s’appuyant sur ses instructeurs francophones et sur ses expériences passées au Mali, au Niger et en RDC, le Canada peut jouer un rôle de facilitateur plutôt que d’intervenant dominant, tout en renforçant la légitimité de l’Alliance sur le terrain.

Enfin, la valeur ajoutée du Canada découle de son positionnement de puissance moyenne au sein de l’OTAN. Ce statut lui confère une marge de manœuvre diplomatique précieuse : ni hégémonique comme les États-Unis, ni perçue comme néocoloniale comme certaines puissances européennes, l’identité canadienne incarne un modèle de coopération équitable et de partage des responsabilités. En soutenant un projet pilote sur le flanc sud, Ottawa démontrerait sa volonté de diversifier son engagement au-delà de la dissuasion orientale. Ce geste renforcerait sa crédibilité d’allié fiable et innovant, à un moment où l’Alliance cherche à traduire son discours « 360 degrés » en politiques concrètes. La contribution des puissances moyennes est essentielle pour combler les « vides opérationnels » laissés par les grandes puissances, absorbées par d’autres priorités.

Ainsi, le Canada se positionne comme le partenaire idéal pour piloter un projet technologique et capacitaire sur le flanc sud, illustrant une nouvelle forme de contribution alliée : agile, intégrée et soutenable sur le plan politique.

Proposition de projet pilote canadien pour sécuriser le flanc sud

Pour que l’engagement canadien sur le flanc sud soit à la fois crédible, mesurable et politiquement soutenable, il doit reposer sur un projet pilote clair et limité, démontrant l’efficacité d’un modèle à faible empreinte, fondé sur la technologie et la formation. Ce pilote, cofinancé par l’OTAN et mis en œuvre par DIANA Halifax et le programme de renforcement des CRD, viserait donc la Tunisie et la Mauritanie, deux pays-pivots du Dialogue méditerranéen. La Tunisie, en crise économique et politique, demeure un partenaire stratégique pour la stabilité du Maghreb central et la lutte contre les trafics maritimes. La Mauritanie, quant à elle, constitue une barrière géographique essentielle contre l’expansion du terrorisme au Sahel occidental. Tous deux ont exprimé leur intérêt pour une coopération accrue avec l’OTAN, notamment en matière de surveillance maritime et de sécurité des frontières.

La coordination institutionnelle du projet reposerait sur une architecture claire : DIANA Halifax piloterait les sprints technologiques et l’innovation à double usage ; le ministère de la Défense nationale (DND) assurerait la supervision stratégique et la conformité avec les priorités de l’OTAN ; Affaires mondiales Canada (GAC) garantirait l’intégration diplomatique avec les partenaires du Sud, tandis que le Defence Capacity Building Office de l’OTAN assurerait la cohérence globale du programme. Le financement suivrait un modèle tripartite, inspiré des précédents DCB : 40 % des coûts couverts par le DIANA Fund (doté d’un milliard de dollars sur dix ans), 40 % par les crédits canadiens du programme IDEaS, Innovation for Defence Excellence and Security, et 20 % par des contributions en nature ou en cofinancement des partenaires et alliés. Ce partage budgétaire limiterait les coûts pour Ottawa tout en assurant la pérennité du projet et son alignement sur les principes de responsabilité collective. Le Canada agirait comme “lead nation” pour les volets technologiques et de formation francophones, supervisant la sélection des startups participantes, la validation des normes techniques et la certification des équipes locales.

Le premier axe du projet viserait à fusionner les données satellitaires commerciales (imagerie optique et radar) avec les données de radars côtiers tunisiens et mauritaniens afin de créer un dispositif intégré de surveillance maritime. Cette approche permettrait d’identifier plus rapidement les activités suspectes, telles que la pêche illégale, le trafic d’armes, la contrebande ou des flux migratoires irréguliers, tout en formant les forces locales à l’analyse des signaux et à l’interprétation d’anomalies maritimes. Le Canada pourrait mobiliser son expertise dans le domaine spatial, notamment via l’Agence spatiale canadienne et des entreprises partenaires, telles que MDA, déjà impliquées dans des programmes d’observation terrestre à double usage. Les formations seraient dispensées conjointement avec le Centre d’excellence pour la sécurité maritime de l’OTAN (MARSEC COE), garantissant une interopérabilité complète avec les standards alliés.

Le deuxième axe consisterait à développer, via DIANA Halifax, une solution modulaire et exportable de lutte contre les drones (counter-UAS) destinée aux forces de sécurité côtières et frontalières. L’objectif ne serait pas de livrer des systèmes d’armes, mais de prototyper des capteurs, des brouilleurs et des logiciels d’analyse de signaux à bas coût et conformes aux réglementations d’exportation de l’OTAN. Des sprints technologiques DIANA, impliquant des startups canadiennes et tunisiennes, permettraient de tester ces prototypes sur le terrain. Le programme serait assorti de modules de formation technique, favorisant la création d’équipes locales capables de maintenir et d’adapter les technologies sans dépendance prolongée vis-à-vis des alliés. Ce modèle d’« innovation partagée » a déjà démontré son efficacité dans des initiatives similaires menées avec la Géorgie et la Jordanie.

Le troisième axe viserait à renforcer la résilience informationnelle des institutions partenaires face aux campagnes de désinformation, notamment celles menées par la Russie à travers ses relais médiatiques africains. Sous la coordination du Centre d’excellence pour la communication stratégique (STRATCOM COE), le Canada financerait des ateliers de formation destinés aux unités de communication gouvernementales tunisiennes et mauritaniennes. Ces formations couvriraient la vérification des informations, la détection d’opérations de manipulation et la production de contre-narratifs crédibles. Ce volet renforcerait la dimension non cinétique du projet, en cohérence avec l’approche intégrée de sécurité que promeut l’OTAN dans son Concept stratégique 2022.

L’approche canadienne serait donc légère, flexible et co-conçue avec les partenaires. L’objectif est moins d’imposer une présence que de créer une autonomie capacitaire mesurable, un modèle reproductible par d’autres partenaires du flanc sud. Un tel projet permettrait également au Canada de démontrer sa pertinence stratégique à l’heure où l’attention d’Ottawa est principalement tournée vers l’Ukraine et l’Indo-Pacifique. En s’appuyant sur des ressources déjà existantes (DIANA Halifax, entreprises spatiales canadiennes, experts francophones), ce pilote représenterait un investissement symboliquement fort mais budgétaire limité, aligné sur les capacités actuelles du gouvernement fédéral. En somme, ce projet ferait du Canada un chef de file, démontrant qu’une puissance moyenne peut redéfinir le partage du ‘fardeau’ allié par l’innovation et la formation plutôt que par la force déployée.

Indicateurs de succès

La réussite du projet pilote proposé doit pouvoir se mesurer à l’aide d’indicateurs concrets, combinant des résultats opérationnels à court terme, des effets de renforcement des capacités et des impacts stratégiques sur la région et sur l’Alliance. Ces indicateurs visent à démontrer qu’une approche technologique et partenariale, même à faible empreinte, peut produire des effets tangibles sur la sécurité du flanc sud et renforcer la crédibilité du Canada auprès de l’OTAN.

Sur le plan opérationnel, les premiers résultats devraient se manifester dès les six à douze premiers mois. Dans le domaine maritime, les flux irréguliers demeurent considérables : en 2024, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) recensait 2 452 décès en Méditerranée et plus de 46 800 arrivées aux Canaries, un record depuis 2006. L’objectif du projet serait d’accroître de 30 % le nombre d’alertes précises émises grâce à la fusion des données satellites et des radars côtiers, tout en réduisant de 15 % la proportion d’« échos sombres », ces navires non identifiés échappant au suivi automatique. À terme, le délai médian entre détection et interception (« cue-to-intercept ») devrait passer sous les 30 minutes sur trois secteurs pilotes, dont deux côtiers et un offshore.

Concernant la lutte anti-drones, le programme viserait à organiser au moins deux sprints DIANA à Halifax, débouchant sur des prototypes de capteurs et d’algorithmes de détection atteignant un niveau de maturité technologique (TRL) de 5 à 6. Parallèlement, cinquante opérateurs tunisiens et mauritaniens seraient certifiés pour l’exploitation et la maintenance de ces systèmes, accompagnés de douze scénarios d’entraînement synthétique et de quatre exercices en conditions réelles. L’un des critères clés sera la proportion d’incidents UAS détectés conduisant à une neutralisation non cinétique , brouillage, évitement ou relocalisation , que l’on vise à faire passer à 20 % au minimum.

Au terme de la première année, le projet ambitionne la formation d’au moins 120 membres du personnel répartis sur trois filières (surveillance maritime, lutte anti-UAS et résilience informationnelle), dont 70 % devraient toujours être toujours en poste douze mois après leur certification. L’objectif parallèle est l’adoption de trois procédures opératoires standard (SOP) : interception maritime, réaction graduée aux UAS et réponse à la désinformation , validées par les ministères de la Défense partenaires.

Le renforcement des capacités locales implique également des dimensions économiques et technologiques. Le projet encouragera l’intégration d’au moins quatre PME nord-africaines dans les sprints DIANA afin d’assurer la maintenance et l’adaptation locales des technologies, tout en prévoyant la signature d’un contrat-cadre logistique d’ici la fin de la première année. Cette participation industrielle favorisera la pérennité du programme et contribuera à la création d’un écosystème d’innovation régional.

À moyen terme, sur une période de douze à vingt-quatre mois, les effets stratégiques serviront de véritable test pour le modèle canadien. Dans les secteurs pilotes, la réduction visée des activités maritimes non détectées est de 10 %, avec une hausse de 25 % des interceptions fondées sur des alertes ISR. Ces tendances locales, si elles sont confirmées, permettraient de montrer que la technologie canadienne contribue à une baisse mesurable des flux illicites, sans prétendre à une transformation macro-régionale.

La dimension informationnelle du projet constituera un autre baromètre de succès. Les cellules STRATCOM créées en Tunisie et en Mauritanie devront publier six analyses annuelles et organiser deux exercices “rouge-bleu” simulant des campagnes de désinformation, notamment celles issues des réseaux liés à la Russie et à l’« Africa Corps ». L’efficacité sera mesurée par une réduction de 30 % du délai de réponse entre la détection et la neutralisation des opérations hostiles.

Enfin, le Canada évaluera le succès diplomatique du projet à travers trois critères : la mention officielle du programme dans au moins un communiqué de l’OTAN et un rapport annuel DCB, l’obtention d’un effet de levier budgétaire d’au moins 1:3 (chaque dollar canadien mobilisant trois dollars alliés ou partenaires), et la reconnaissance du nœud DIANA d’Halifax comme plateforme nord-américaine de référence pour les initiatives de surveillance maritime et de lutte anti-UAS. Si ces résultats sont atteints, le projet pilote du flanc sud deviendra une preuve que l’innovation peut valoir autant qu’une division déployée.

Conclusion

Le flanc sud de l’OTAN constitue un défi stratégique et politique. Il met en évidence les limites d’une sécurité « à 360 degrés », souvent centrée sur le front oriental, et offre au Canada la possibilité de traduire en actes son rôle de puissance moyenne innovante. L’initiative proposée incarne une approche plus agile de la sécurité : agir par la donnée et la coopération plutôt que par la présence militaire. En privilégiant la technologie et la co-conception avec les partenaires du Sud, Ottawa peut combler un angle mort de l’Alliance tout en évitant la duplication des missions européennes.

Ce projet pilote à faible empreinte et à financement partagé montrerait qu’il est possible de renforcer la sécurité collective de manière mesurable sans déployer de troupes. Cette méthode, si elle réussit, deviendra un modèle de partage du fardeau allié, adapté aux réalités budgétaires et politiques actuelles.

Cette initiative servirait autant les intérêts canadiens que ceux de l’OTAN. Elle consoliderait la place du Canada comme allié crédible et moteur d’innovation, tout en rappelant à l’Alliance que la stabilité du Sud est essentielle à sa cohérence stratégique. En comblant ce blind spot méditerranéen, le Canada prouverait que l’influence ne se mesure pas au nombre de divisions déployées, mais à la capacité à transformer la technologie en sécurité partagée.


Photo: Canadian sailors aboard HMCS Athabaskan (DDH 282) unload supplies at Naval Air Station Pensacola during Hurricane Katrina relief operations. U.S. Navy photo by Photographer’s Mate 3rd Class Jay C. Pugh, Wikimedia Commons (Public Domain).

Disclaimer: Any views or opinions expressed in articles are solely those of the authors and do not necessarily represent the views of the NATO Association of Canada.

Author

  • Lou Cardot is a third-year student at the University of Toronto, pursuing a double major in Ethics, Society, and Law and Political Science, with a minor in European Affairs. She is currently on a year abroad, studying International Relations and Economics at both University College London (UCL) and Sciences Po Paris. Born in Paris but raised in Washington D.C., Lou is of Tunisian, Sicilian, and Algerian background. Her interests include human rights, gender equality, and immigration policy. She also writes freelance for the French Ministry of Defense and various law reviews across Europe and North America.

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Lou Cardot
Lou Cardot is a third-year student at the University of Toronto, pursuing a double major in Ethics, Society, and Law and Political Science, with a minor in European Affairs. She is currently on a year abroad, studying International Relations and Economics at both University College London (UCL) and Sciences Po Paris. Born in Paris but raised in Washington D.C., Lou is of Tunisian, Sicilian, and Algerian background. Her interests include human rights, gender equality, and immigration policy. She also writes freelance for the French Ministry of Defense and various law reviews across Europe and North America.